JEUDI POLAR
«La Part sauvage» : qui est l’homme, qui est la bête ?, par Christine Ferniot
Dans ce premier roman noir, Ferran Guallar met en scène un anthropologue alcoolique spécialisé dans les primates essayant de lancer un projet écolo malgré tous les obstacles sur sa route.
Le Barcelonais Ferran Guallar, qui signe son premier roman avec la Part sauvage, est un grand voyageur. Il a, entre autres, passé du temps en Afrique pour diriger un programme de conservation de la nature. On se dit forcément que son personnage principal, Paul Murray, anthropologue spécialisé dans les primates, ne sort pas de nulle part. L’auteur s’est servi de son expérience pour décrire la vie d’une communauté de naturalistes portés par le désir de sauver le monde sauvage et d’observer à la loupe la faune africaine. Mais Paul n’est pas un de ces spécialistes sympathiques et rêveurs qui souhaitent éduquer la société en ouvrant des classes pour faire des enfants du coin «des adultes écologiquement responsables». Paul est un sacré alcoolique qui oublie ce qu’il a fait la veille dans les chambres des filles et sur les chemins des Bonobos. Mais il n’est pas le dernier des idiots et voit bien que son projet écolo est récupéré par des hommes d’argent et d’ambition Peu à peu le grand chimpanzé Seejo, un mâle vieillissant et repoussé par les siens, devient un exemple ou un reflet pour Paul, lui-même écarté du pouvoir et des informations.
Le romancier a de l’audace et bien du talent pour faire entrer le lecteur dans ce décor de plus en plus inquiétant, cette jungle qui vous happe, corrompt et emprisonne pour un voyage vers l’enfer. Il y a dans ce roman obsédant des salauds, des arrivistes, des militaires, des multinationales, des filles sympas et des hommes mesquins mais surtout, il y a ce sentiment de ne plus savoir qui est l’homme et qui est la bête. Paul Murray, anti-héros perdu dans les vapeurs d’alcool, dans les mauvais souvenirs du passé, n’a plus qu’à s’enfoncer dans la forêt sans savoir où il mettra les pieds.
Livre fascinant, noir, exigeant, la Part sauvage nous emmène au bout de la nuit et c’est extrêmement dérangeant, donc passionnant.
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